17/11/2015

LETTRE OUVERTE A PARIS

 Paris,

          On n'a jamais été très bonnes copines toi et moi. J'avoue que je ne t'ai jamais vraiment laissé ta chance. Je me suis un peu laissée manipuler par ce que j'entendais de toi dans ma jeunesse, par mon père, qui n'en pouvait plus de te parcourir tous les jours dans tes transports sales, froids, et toujours en retard. Par les touristes, qui trouvaient tes habitants mal polis, grossiers, pressés. Par les prix de tes loyers, qui sont (il faut l'admettre) un peu du foutage de gueule. Et même par Laurent Romejko qui m'a si souvent annoncé la pluie au dessus de ta tête. Je t'ai trop vite jugée, en parcourant tes rues sales, grises, pleines à craquer de monde, de bruit, de pollution.
 

          J'ai vécu 23 ans à une trentaine de kilomètres de toi, j'ai travaillé dans ton sein, et jamais je n'ai été tendre avec toi. Je reprenais toujours vivement les gens qui m'appelaient "parisienne", pour préciser "non, banlieusarde !". J'admettais avec difficulté, apprécier tes magasins, la proximité de tous les services de la vie, la beauté de quelques rues sympas. Mais il faut avouer, on ne s'est jamais bien entendues.
 

          Maintenant que je suis à 600km de toi, de mes proches, amis, famille, tu me manques. Me voilà dans une région où marcher lentement à gauche dans un escalier n'entraîne pas d'insultes, où on peut prendre son temps pour payer à la caisse d'un magasin, où l'horizon est jonché de montagnes verdoyantes, surplombées très souvent par un ciel azur sans nuage. Et pourtant. J'en arrive à regretter de pouvoir profiter de ma matinée de repos pour aller boire un café ou une bière avec une amie. J'en arrive à regretter ces trajets en train, plongée dans de la musique ou un bon bouquin. J'en arrive à regretter tes lieux insolites, tes petites mines d'or bien cachées.
 

          Je ne les regrette pas uniquement depuis vendredi. Tu me manques depuis plusieurs mois. Je m'en suis rendue compte en te quittant pour la seconde fois, il y a un mois, après un court week-end. J'ai convenu que non, tu n'étais pas parfaite. Mais tu étais en vie.
 

          Ce vendredi, on a essayé de te l'ôter, cette vie. On t'a attaquée pour ce que tu sais faire de mieux : accueillir, faire du bruit, divertir. Et j'ai été heurtée au passage. Parce que même en ne t'appréciant que modérément, un peu comme l'oncle raciste sur les bords, comme le client régulier mais hyper relou, hé ben tu as fait partie de mon quotidien. Pendant vingt-trois ans. Et qu'à une semaine près, j'aurais très bien pu être attablée en terrasse à ce restaurant et te sentir mourir avec moi. 

          Il y a 10 mois, quand on t'a déjà effleurée, on m'a rabâché les oreilles, à moi comme à d'autres, sur le "pourquoi j'étais idiote d'être triste, d'être solidaire, parce que tout était un coup monté et bla et bla et bla". Aujourd'hui je n'autorise personne à me dire comment je devrais me sentir face à ces événements, et face à aucun autre d'ailleurs. Ma sensibilité ne regarde que moi, et j'emmerde (en bonne parisienne) tous ceux qui tenteraient de m'expliquer par A + B pourquoi je ne devrais pas pleurer.
 

          Fort heureusement, il n'est pas question que ce soit une fin pour toi. Fort heureusement, tes habitants sont si forts et déterminés qu'ils vont t'offrir une nouvelle jeunesse, ils vont te pomponner comme jamais, te faire les plus beaux éloges et tu brilleras de plus belle. Et cette fois, je ne le contesterai pas.

Je n'ai jamais été aussi fière d'être parisienne.


          Je te remercie infiniment d'avoir su protéger en tes murs les êtres chers qui te rendaient visite ce soir là. Et je te dis, à très vite.



Avec toute ma considération,
Léna.

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